#18 Iria Del, sorcière... et c'est tout

Votre âge : 34 ans

Prénom ou pseudonyme : Iria Del

Quel type de sorcière êtes-vous ? Le simple terme de sorcière me suffit et est suffisamment parlant à mes yeux. Je n’adhère pas aux couleurs en magie mais plus aux nuances. Selon moi la sorcière est intrinsèquement sombre car reliée à tout ce qui touche à l’invisible. Le sombre n’est pas le mal, cela est juste lié à ce qui n’est pas en pleine lumière ou mis à disposition comme une évidence. La sorcellerie est un chemin de traverse à l’ombre du monde normal qui demande beaucoup de subtilité et de capacité à se réinventer. La sorcière est celle qui traverse le voile et peut manipuler les énergies pour manifester dans le monde concret à partir de ce qui est caché. Je suis donc juste sorcière et c’est déjà pas mal.

Quelle a été votre première expérience magique ? J’ai commencé, petite, par subir mes capacités à marcher entre les mondes. Je me décorporais sans le vouloir, mon corps astral arpentant les lieux autour de moi, rencontrant des êtres absolument effrayants dont certains étaient en fait des guides (mais je ne le découvrirai que bien plus tard), recevant la visite d’esprits en tous genres dans mon lit et autres joyeusetés.... J’ai fait ce que le monde normal appelle « des terreurs nocturnes », sans que personne ne puisse y offrir la moindre solution tangible jusqu’à l’appropriation active de mes capacités à l’âge adulte. 
Mes premières expériences conscientes et motivées sont apparues très tard, pendant la vingtaine, où je commençais à comprendre que ce que je semblais subir depuis toujours était en fait la manifestation d’un grand potentiel dans un monde inadapté à ce type d’expériences, pourtant plus répandues qu’on ne veut bien le penser ou l’admettre. La transition vers cette future vraie vie assumée de sorcière fut l’exploration du spiritisme avec des groupes de copines à l’adolescence. J’y découvris alors la présence des guides et entamai un dialogue plus ou moins suivi avec eux, recevant parfois des rêves, visitant des vies antérieures, improvisant ce que je ne savais pas être à l’époque de la bibliomancie. 
Mes premières vraies manipulations de l’énergie dans le cadre de sortilèges se manifestèrent après la découverte de la cartomancie, avec des bénédictions que j’effectuais pour des proches qui, sans trop y croire eux-mêmes, et avec la plus désinvolte ingratitude, décrochaient le super voyage à l’étranger ou l’opportunité de carrière en or, tandis que je comprenais le coût en énergie de telles tentatives et devais récupérer longuement, me reposant et analysant toujours plus la réalité énergétique qui s’offrait à moi. En comprenant que c’était moi qui leur offrais cela sur un plateau, je commençai à penser à « moi d’abord » et à entamer un cheminement d’alchimie spirituelle long et passionnant, me réappropriant ce qui avait toujours été à moi : mon pouvoir à modeler l’invisible pour manifester du concret.

Comment vivez-vous au quotidien la sorcellerie ? Je vis à présent comme une sorcière du matin au soir et inversement, dissimulant juste ce qu’il faut quand je me balade entourée de "moldus". Il est pour moi naturel d’avoir des visions tous les matins au réveil ou sous la douche, de voir 1000 signes sur les panneaux publicitaires ou dans les paroles des chansons, et d’y trouver les réponses utiles et directement applicables dans ma vie réelle en les assemblant comme une grande charade divine. Je tire les cartes au quotidien, moins dans un but prédictif que dans un approfondissement constant de mon alchimie personnelle qui demande beaucoup de rigueur mais aussi un brin de folie. En parlant de folie, je pense sincèrement que beaucoup de gens traités pour maladie mentale sont en fait des potentiels qui n’ont pas su revenir depuis l’autre côté du voile, ou qui n’ont pas réussi à maîtriser le numéro d’équilibriste de savoir vivre des deux côtés avec la maîtrise de tous les codes de part et d’autre. Le monde visible n’a pas la moindre idée de ce dont nous sommes capables en tant qu’humains et est bien prompt à crier au délire hallucinatoire au lieu de se remettre en question dans sa très courte et conditionnée vision du réel ! 
Je vis également avec les cycles lunaires, je sais que je voyage en rêves, je charge énergétiquement des choses que j’ingurgite ou porte, je fais le ménage énergétique tout comme les vraies poussières, je prépare toujours un machin chose qui me fera passer à la prochaine étape dans l’invisible, vers la pleine maîtrise de ce potentiel en expansion constante. Tout ça en continuant de fonctionner normalement dans une vie « normale ». 
Je vis également la sorcellerie dans ma vie créative. Je suis auteure et écris des oracles qui portent les messages qui me tiennent à cœur en tant que sorcière engagée dans cette réappropriation de nos potentiels invisibles, je tiens un blog du nom d’Eaux Cultes dans la même veine et je suis cartomancienne professionnelle, offrant une expérience plus « sorcière » dans mes tirages qui inclue des rituels, des invocations, des soins énergétiques et des manifestations alchimiques. Il m’est devenu très compliqué de laisser mon "balai" au placard, ma vie transpirant de plus en plus mon identité profonde. Il n’est pas rare désormais que j’effectue mon "coming out" de façon impromptue lors d’un rassemblement entre voisins médusés ou au détour d’une conversation qui démarre comme une plaisanterie et qui se termine par un tsunami idéologique intérieur chez mon interlocuteur. Je suis à présent assez fatiguée de ménager les autres dans leur refus d’envisager la vie de façon plus expansive, tolérante et/ou métaphysique. J’annonce la couleur plus facilement et avec bien moins de scrupules qu’à mes débuts. Et la plupart du temps, j’ai de bonnes surprises ! Au pire, on pensera que je plaisante avec beaucoup de conviction. Ou que je suis folle. Dans les deux cas, cela m’amuse beaucoup.

Quelles sortes de magies pratiquez-vous ? C’est toujours difficile pour moi de cloisonner ma magie, tout comme il est compliqué de me cloisonner en tant que sorcière et en tant que personne. Je réfléchis plus en terme de philosophie de magie, comment celle-ci se construit et vers quel but. Je ne pratique pas de magie "pansement" court-termiste, à gratification immédiate, avec l’illusion de me donner ce que je veux alors que mon chemin véritable stagne. Ma magie est donc profondément alchimique, elle prend en compte différents variables et anticipe les chemins que pourra prendre l’énergie sollicitée. Elle cible mon intériorité et agit avant tout sur moi-même pour transformer toute mon expérience de vie. C’est un travail de fond exigeant qui prend en compte la notion clef de toujours respecter mon but de réalisation et ma mission profonde. En dehors de cette casquette d’alchimiste, je ne me limite pas à un domaine et suis une touche-à-tout.

Quels sont vos matériaux de travail favoris et pourquoi ? Les tarots et oracles sont la base de ma pratique. Ils permettent de manifester, voyager ou invoquer avec puissance. Je les couple toujours avec des cristaux, encens et bougies en associant les couleurs, propriétés et énergies selon mon but recherché. Ma dague est également un élément indispensable à ma pratique, elle me permet notamment d’ouvrir des portes dans l’astral, tranchant dans l’invisible pour y créer un chemin nourrissant. J’aime fabriquer des mélanges avec des plantes et des huiles, que ce soit dans un but de consommation ou pour conserver une bouteille sorcière sur le long terme. Ma magie utilise aussi beaucoup l’écriture. C’est très simple de manifester avec un bout de papier et un crayon, et encore mieux quand on peut brûler ce papier dans un petit chaudron en fonte ! Et que dire des multiples possibilités d’Internet et de l’informatique ?! Un téléphone portable ou un ordinateur couplé à une connexion web sont les nouveaux yeux de tritons et ailes de chauves-souris pour les sorcières modernes. Je n’aime pas me limiter. J’utilise tout ce qui m’inspire pour ma magie et cela peut vraiment être en dehors des clous. En ce qui me concerne, plus c’est personnalisé, mieux ça marche.

Avez-vous des liens avec des entités/dieux ? Si oui, expliquez-nous. Ma pratique consciente et motivée a débuté avec les divinités, la déesse Lilith en particulier. De nombreux dieux et déesses m’accompagnent aujourd’hui, plutôt du côté sombre de la force, et la Déesse Sombre en tant que grand archétype réunissant toutes les déesses sombres m’est la plus proche. Je ne vois pas le travail avec les dieux comme une dévotion vide et égotique ne visant qu’à me faire me sentir comme une élue. Je vois les dieux comme des reflets de nous-mêmes nous invitant à des initiations transformatrices. Quand une divinité apparaît, je ne reste pas assise sur mes fesses à prier ou à me sentir spéciale, comme c’est souvent l’a priori à ce sujet. Au contraire, je me mets au boulot car leurs présences ne se manifestent jamais par hasard. Nous avons tous accès à des trucs extraordinaires. Il nous suffit juste de leur ouvrir la porte et de prendre le train en marche.

Comment définissez-vous la "magie" ? La magie est la manipulation de l’invisible pour manifester dans le réel. C’est la pratique à laquelle peuvent s’adonner la magicienne comme la sorcière. Selon moi, la magicienne est plus dans le faire et la sorcière dans l'être. Une sorcière peut être magicienne mais une magicienne n'est pas forcément sorcière. Dans un contexte moderne qui tend à se dépolluer des dogmes et religions, mais devenant de plus en plus allergique à l'invisible, ne jurant que par le scientifiquement prouvé, la sorcière revêt un caractère militant. La sorcière est une résistante de l'invisible. Elle tend bien haut son doigt du milieu en disant "oui, moi je voyage entre les mondes, je vois des choses bizarres, je triture l'énergie, je côtoie l'au-delà, je vois des choses à l'avance, et, peut-être que j'aurais aussi envie d'attraper le fil du destin pour le faire dévier à ma guise". Dire que l'on est magicienne ne renseigne aucunement sur un quelconque état d'esprit. C'est juste indiquer une pratique. Être sorcière, c'est un formidable manifeste de résistance. C'est un coup de pied dans les couilles patriarcales. Pour moi, être sorcière, c'est vivre la magie et pas uniquement la pratiquer. C'est aussi porter le flambeau de ces femmes qu'on a tuées à travers les siècles pour avoir osé incarner leur puissance. C'est accepter de se qualifier par un mot qui va faire tout sauf tranquilliser notre interlocuteur (et bon sang, arrêtons d’accoler le mot "blanche" à côté de sorcière, c'est une façon très irritante de diluer un pouvoir que l'on veut incarner sans vraiment oser aller au bout de la démarche). C'est se connecter à plus qu'une pratique, mais plutôt une sagesse ancestrale, née dans l'utérus du monde. Pour moi, on pratique la magie. Mais on est sorcière (on naît). On le vit. On le transpire.

Faites-nous part de toutes les réflexions que vous souhaitez : J’ai le sentiment que nous sommes dans les prémices de ce retour de la figure de la sorcière et qu’un nouveau phénomène voit le jour. C’est un moment important pour cet archétype qui prend de plus en plus corps dans notre société. Il sera difficile d’y trouver un consensus car beaucoup de femmes qui n’ont rien à voir entre elles vont se proclamer sorcière pour des raisons totalement différentes, que certaines voudront être vues et entendues et d’autres non, et parce que la sorcière est tout sauf consensuelle par nature. Pour ma part, j’ai identifié trois grandes catégories d’identités sorcières qui peuvent se cumuler : 
- La sorcière comme identité politique et militante : c’est la féministe qui porte haut et fort le chapeau pointu symbolique pour bousculer les cadres et redéfinir la place de la femme dans notre société patriarcale. 
- La sorcière comme adoption d’un style de vie et de consommation : c’est l’influenceuse et la collectionneuse de tarots qui rassemble une communauté attirée par ce nouveau mouvement alternatif. 
- La sorcière mystique : c’est la "vraie", celle qui marche dans l’invisible, le manipule et le transmute en événements réels. Elle est celle en qui peu de gens croient vraiment, y compris les deux catégories précédentes si elles restent cloisonnées dans leurs rôles. Elle est aussi celle qui doit faire un choix sur ce qu’elle compte faire de ce à quoi elle a accès, à la différence de la "masse" pour qui l’invisible n’est qu’un amoncellement de foutaises. Être sous-estimée est formidable car cela permet d’œuvrer tranquillement sans trop inquiéter qui que ce soit. Beaucoup d’entre nous vont voir ce mouvement de mode autour de la résurgence de la sorcière d’un mauvais œil alors que c’est une opportunité. Entre tous les enthousiastes qui n’ont aucune idée de ce que nous sommes vraiment, les sceptiques condescendants qui tentent de nous ridiculiser, les industries qui ne tarderont pas à nous instrumentaliser pour nous faire toujours plus acheter, et les quelques fanatiques religieux qui nous croient néfastes et sous contrat avec "Vous-savez-qui", nous, les sorcières, avons une sagesse à disperser, au milieu de tout ce foutoir dilué que seuls certains comprendront. Nous sommes les révolutionnaires sous cape qui arpentons l’autre côté depuis toujours. Une brèche s’est ouverte entre les deux mondes, le visible et l’invisible. Elle est petite mais qui d’autre que nous saura l’exploiter ? À nous de bien réfléchir à ce que nous comptons faire de cette brèche. Pensions-nous que le monde qui nous a brûlées vives nous rouvrirait les bras du jour au lendemain en nous félicitant et nous valorisant ? Non, le monde est plus laxiste mais il n’aime pas les électrons libres qui ont du pouvoir. Particulièrement le pouvoir d’éveiller les consciences. Le système va tenter de nous coller une étiquette ridicule qui, bien évidemment, ne nous conviendra pas. Cessons de bouder que le monde ne nous reconnaisse pas comme nous le méritons. Utilisons ce pouvoir sur lequel ils n’ont absolument aucune prise, aucune compréhension et contre lequel ils n’ont aucune défense. Faisons en sorte que toujours plus de monde accède à ce pouvoir car la sorcière est, pour moi, celle qui est venue ici pour abolir toutes les soumissions.

Commentaires